Picasso et son ami Michel Smajewski (Sima)

Cette histoire commence à Golfe-Juan, l’été 1946. Elle raconte un bel exemple d'amitié entre deux artistes. Pablo Picasso revient pour la première fois depuis la guerre sur la Côte d’Azur bien-aimée, qui lui rappelait sa ville natale, Malaga, et où il peut profiter des bienfaits du soleil et de la mer tempérée. Tandis que Sima, un jeune sculpteur et photographe polonais, se remet de son terrible passage au camp d’extermination d’Auschwitz. Par l’intermédiaire de Sima, Picasso peut s’installer pendant quelques mois au château des Grimaldi à Antibes pour créer. De plus, Pablo Picasso aide son ami à reprendre ses activités artistiques, alors affaibli par ses années de déportation. Bien qu’ils se soient connus avant la guerre à Paris dans les années 1930, leur amitié s'est véritablement consolidée sur la Côte d'Azur et a laissé une empreinte indélébile sous la forme de centaines de belles photos. Dont la plus célèbre "Picasso avec une petite chouette", qui est devenu son inspiration pour de nombreux tableaux.

Picasso et Michel Sima dans le château Grimaldi

Michal Smajewski (Michel Sima) est né en 1912 à Slonim, dans une famille polonaise d’origine juive. Dès ses 17 ans, il part à Paris pour étudier la sculpture à la prestigieuse Académie de la Grande Chaumière, se situant dans le quartier Montparnasse. Le jeune Sima s’introduit facilement dans la bohème artistique du Paris des années 30, occasionnant de nombreuses et fructueuses rencontres. Jean Cocteau, Francis Picabia, Paul Éluard, Alberto Giacometti, Max Ernst, Robert Desnos comptent parmi ses amis proches. Ce dernier justement l’introduit auprès de Pablo Picasso. Le jeune artiste commence à obtenir ses premiers succès, ses premières expositions, ses premières commandes de sculptures. Il passe, comme tous ses amis à l’époque, une partie de son temps sur la Côte d’Azur. Il y trouve un atelier et séjourne tout l’été à Vallauris. Avec son meilleur ami Francis Picabia, ils travaillent au même atelier à Golfe-Juan pour préparer une exposition collective à Cannes en 1940. En 1942, la vie insouciante, entourée d'amis, s’interrompt brutalement. Michel Sima est arrêté et incarcéré à Nice par les Français collaborateurs. Puis il est déporté en Allemagne. De là, il est envoyé à Auschwitz, et ensuite au camp de travail de Blachownia.  Après la guerre, Sima se retrouve dans une situation désespérée, sa ville natale a été incorporée à l'URSS. Lui-même est épuisé physiquement et moralement.

 

Musée de Picasso a Antibes, site official de la ville d'Antibes

Il rentre en France en 1945, sérieusement malade et épuisé. Il choisit de s’établir à Cannes. Il loge chez son vieil ami Dor de la Souchère, conservateur du musée Grimaldi au château d’Antibes. C’était une époque merveilleuse, le monde revenait à la normalité après la guerre, les gens se réjouissaient, nous voulions profiter de la vie à fond, raconte Sima lors d’une interview à la radio en 1982. Après la vie dans les camps, la Côte d’Azur n’était rien de moins qu’un paradis pour Michel Sima. En 1946, à Golfe Juan, il rencontre à nouveau Picasso. Les artistes se retrouvent tous les jours et se promènent le long de la mer, ramassant des pierres qu'ils peignent ensuite. Ainsi, Michel Sima revient peu à peu à la création.

Picasso dans son atelier au château Grimaldi au deuxième étage, photo Michel Sima Smajewski

Picasso vient passer l’été sur la côte en compagnie de sa nouvelle muse, peintre comme lui, Françoise Gilot. Les deux artistes se plaignent de ne pas avoir de lieu où travailler. Sima favorise alors la rencontre entre Picasso et Romuald Dor de la Souchère, et ce dernier lui propose aussitôt d’utiliser une partie du château des Grimaldi pour en faire son atelier. L’aile sud, au second étage, procure beaucoup d’espace. Picasso y a crée quotidiennement, de septembre à novembre. Pablo Picasso demande à Sima de l’accompagner afin de documenter son travail. C’est ainsi que Sima recommence à photographier. Il doit construire lui-même un appareil photographique très simple, car les magasins sont vides après la guerre. Ses clichés sont aujourd’hui un héritage précieux, révélant toutes les étapes du processus créatif de Picasso.

Joie de vivre

En présence de Michel Sima, Pablo Picasso se sent en confiance et lui donne un accès libre à son travail. Ainsi le photographe peut scruter de près les méthodes de création du peintre. Il interrompt une œuvre pour se consacrer à une autre, termine la suivante, rajoute quelque chose, s’accorde un instant de réflexion avant de revenir à la première. À cette époque, Picasso explore l’art figuratif et le cubisme, il peint souvent des minotaures, des satyres, les fruits de la mer, sa compagne et ses amis, d’ailleurs Sima figure sur certaines toiles. C’est une période très heureuse dans la vie du peintre, qui se reflète dans ses œuvres. Picasso apprend alors que Françoise Gilot attend leur premier enfant et qu’il est sur le point de redevenir père à 65 ans.

Satyre, faune et centaure au trident, Musée de Picasso  à Antibes, photo Anna Lappo-Malosse


Cet été-là, le modèle préféré de Picasso est une petite chouette. Elle apparaît sur de nombreuses toiles, dessins, gravures et aussi sur les assiettes et vases réalisés à Vallauris. C’est justement Sima qui, se rendant au musée Grimaldi, la trouva en chemin, blessée à la patte. Il décide de la ramener à l’atelier de son ami afin de la soigner. Sima lui trouve des souris et Picasso s’occupe d’elle au quotidien. Enfant, Pablo avait pris soin des pigeons de son père, il était très habile avec les animaux qui tiennent également une place considérable dans la vie et l’œuvre de Picasso. Il bande la fracture du hibou qui se débat et le mord. L’oiseau se rétablit vite et s’habitue tant au peintre qu’il ne le quitte plus. Picasso décide aussitôt de l’adopter et de l’appeler Ubu. Michel Sima s’inspire également de l’animal sympathique en réalisant l’un des plus beaux et originaux portraits de Picasso avec la chouette. Après les vacances, Picasso prend sa nouvelle amie à Paris avec lui. Ubu s’installe dans son studio dans la rue des Grands Augustins. 

 
Musée Picasso Antibes, photo Anna Lappo-Malosse

Les artistes passent beaucoup de temps ensemble. Sima aide Picasso à obtenir du matériel, qui manque cruellement après la guerre. Françoise Gilot, raconte dans un entretien de 2004 que Picasso surnommait Sima „son ministre des affaires intérieures”, responsable de tout, de l’organisation entière du travail. Notamment, ils partent chercher des plaques de fibro-ciment ou de mesonite, sur lesquelles Picasso peint toutes les œuvres d’Antibes, dont La joie de vivre, titrée plus tard par Dor de la Souchère. Les toiles sont chipées dans les réserves. Sima achète des pots de peinture Ripolin dont se servaient les pécheurs pour leurs bateaux, d’où la palette réduite... Après la guerre, tout manque, même les peintures à Antibes. Il aurait pu tout commander à Paris, mais selon Françoise Gilot, c’était une façon de se débrouiller, de ne pas entrer dans des routines, pour se donner des défis.


Durant cet été, Michel Sima fait découvrir Vallauris à Picasso, où le peintre s’établit de façon permanente en 1948 et produit ses fameuses céramiques. Il y réalise aussi le grand projet de réhabilitation d’une chapelle du moyen-âge avec la peinture murale La Guerre et la Paix.


Picasso avec son ami, photo Michel Sima Smajewski
      
 

Quand les vacances prolongées de Picasso prennent fin et qu’il doit rentrer à Paris en novembre 1946, Picasso lègue 23 peintures et 44 dessins au musée Grimaldi. En 1948, il s’installe sur la Côte d’Azur avec sa famille, justement à Vallauris. Cette même année, il fait don au musée de 78 céramiques, produites à l’atelier Madoura

Extrait du film de Ch. Tran Picasso et Sima, le modeleur d'amitié

En 1966, le musée Grimaldi change de nom pour devenir le musée Picasso d’Antibes. Aujourd’hui, les salles consacrées à l’artiste au second étage sont exactement celles qu’il occupait pour travailler.  Le musée expose de nombreuses peintures, dessins et céramiques de l’artiste, ainsi que d’autres œuvres de peintres contemporains tels que Nicolas de Staël, Fernand Léger, Hans Hartung, Anna-Eva Bergman, Georges Braque, Kostia Terechkovitch, Paul Leuquet, Germaine Richier et Joan Miró.


Françoise Gilot admet dans un entretien que, sans la contribution de Sima, il n’y aurait pas eu de Musée Picasso à Antibes. 

Exposition au Musée Picasso à Antibes, photo Anna Lappo-Malosse

 

Sources:

Erika Billeter, Michel Sima. Ateliers d’artiste, Editions Snoeck, Gand, 2008

Henry Gidel, Picasso, WAB, Varsovie, 2004

Françoise Gilot et Carlton Lake, Vivre avec Picasso, 10/18, Paris, 2018

Michel Sima, Picasso. Atelier des combles, Hazan et Musée Picasso, Antibes, 2015

Chsistian Tran, Picasso et Sima, le modeleur d'amitié, Lyon , 2009 ( film documentaire)

Le site internet de la ville d’Antibes consacrée au Musée https://www.antibes-juanlespins.com/culture/musee-picasso

 

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Traduction : Pascal Malosse

 

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